Second périple : guerres et peuplements

De facto, les maîtres-verriers appartiennent, dit-on, pour certains à la petite noblesse la plus ancienne qui soit. Ils sont forts prisés pour le peuplement des frontières, notamment en Lorraine, Thiérache, ou Argonne… Le système d’implantation semble simple : les seigneurs ou le Roi leur donnent des libéralités. Les verriers en profitent et valorisent les forêts ; en échange, pouvant porter l’épée, ils veillent à la défense de leurs domaines, et donc de la frontière. Parfois, les verriers fortifient eux-mêmes leurs domaines. C’est le cas du Formathot, de Follemprise, et en de nombreux autres endroits, comme à Watigny (02830) qui voit l’érection de quatre forts sur son territoire au fil des siècles, dont celui de la Clopperie.

Verrerie Larcier à Le Nouvion-en-ThiéracheAu gré de libéralités et des états de guerre, les verriers migrent : l’exemple du domaine de l’abbaye de Foigny pourrait être le seconde étape-type des routes verrières en Thiérache. Avant le 16ème siècle, des abbayes comme Foigny, Saint-Michel-en-Thiérache ou Thenailles exploitaient eux-mêmes leurs propres propriétés avec l’aide des frères convers. On faisait appel à des ouvriers, qui n’avaient pas le droit à la propriété ni à la résidence de leur famille. Les guerres ayant causé tant de désastres et ruiné les abbayes, celles-ci, ne pouvant entreprendre seules la revalorisation de leurs biens tombés en friche depuis des décennies, les cèdent à des conditions avantageuses sous forme de baux emphytéotiques de 99 ans à partir du début du 16ème siècle. Dom DE LANCY, prieur de Foigny, écrivant vers 1670 les mémoires de son abbaye mentionne que de nombreuses familles ou artisans verriers sont venus notamment du Beauvaisis et de Normandie pour repeupler nos contrées. La famille la plus prolifique de ces colons sera les DE LIÈGE. Ces colons remettent probablement en fonction les plus anciens fours comme ceux de la Bouteille, ou de la Clopperie sur Watigny. Mais surtout ils font fleurir les verreries sur le territoire de l’Abbaye (voir carte) : le Hutteau est pris à bail par Jean De LIÈGE et Madeleine De MURES sa femme ; la cense de Belle-Perche est affermie à Nicolas De LIEGE vers 1525. Belle-Perche ne sera démantelée qu’en 1626, laissant à des portions de son domaine les toponymes, la Brossière et Robinette, sans doute issus des familles verrières BROSSARD et ROBINET qui l’occupèrent. La Clopperie sera augmentée de deux fours, le Four des Moines et le Four Hennequin au cœur des bois. Plus tard en 1650, Philippe De LIEGE, propriétaire de la Clopperie dirige brillamment sa défense contre le Comte de SFONDRATE qui ne peut prendre les bâtiments fortifiés.

La fin de ces baux emphytéotiques permet à certaines familles d’acquérir leur terre en pleine propriété. Mais ils ne sont pas l’unique facteur de développement extraordinaire de la verrerie en Thiérache. Deux autres facteurs sont primordiaux : l’ébauche de nouvelles routes verrières, notamment sur l’axe Italie (lieu de production)-Flandres (lieu de débouchés), ainsi que l’expansion du calvinisme que nous détaillons ci-après.

Des verriers italiens avaient essaimé sur la route des Pays-Bas dès le 15ème siècle pour garder la maîtrise de leurs débouchés commerciaux en Flandres, et mettre à la mode leurs productions. On cite parfois en exemple Jacques DORLODOT implanté à Vendresse (08) dès 1476, allié aux verriers GUIOT. Les verriers les plus prisés comme main d’œuvre sont de Venise. Les autres sont généralement d’Altare (proche de Gênes), comme les FERRY, qui essaiment en Provence dès le 14ème siècle puis arrivent dans des contrées plus septentrionales. Certains de ces italiens semblent se fixer momentanément en Thiérache dès le 15ème siècle.

Au 16ème siècle des verriers lorrains viennent renforcer par leur savoir-faire la production des verreries de Momignies et Surginet (Beauwelz). C’est surtout à cette période que la donne change, notamment lorsque les conditions de fabrication du verre en Lorraine deviennent trop difficiles à cause de la mainmise du Duc sur la production, qui elle est désormais trop importante, faisant chuter les prix. L’axe Italie-Flandres va progressivement contourner la Lorraine, dont les verriers émigrent massivement à partir de 1567 dans les régions circonvoisines. C’est à peu près la date de l’arrivée des premiers THYSAC et D’HENNEZEL en Thiérache, et de leur première conquête commerciale du Brabant. Un document fort intéressant de 1576 émanant de l’administration espagnole souligne ce changement des routes verrières :  » les marchands voicturiers lorrains, pour défrauder et non payer ledit droict […] se sont despiéça divertis de leurs chemins accoutumez par notre ducé de Luxembourg et comté de Chinj [Ciney ou Chimay ?], ains prendrent doresnavant leur chemin par noz villes de Marienbourg, Avesnes et Valenciennes « . Les routes commerciales changent en partie parce que les lieux de production se sont déplacés.