Premier périple : Une frontière aux origines du verre

En de multiples endroits ont été trouvés des objets en verre datant de l’époque romaine et mérovingienne. L’un des plus anciens est un gobelet du Ier siècle trouvé à Couvin (B), représentant une course de chars . Fabrication locale ou importation ? Difficile de répondre sur une base aussi mince que quelques découvertes isolées. Pour commencer cette route du verre en Thiérache, un bon point de départ, quoique largement controversé par la communauté scientifique actuelle, sont les travaux de l’archéologue-historien du verre Raymond CHAMBON dans les années 1930-1960. Sur base de ses analyses des débris de verre exhumés sur plusieurs parcelles du Formathot, à droite de la route de Beauwelz à Macquenoise . Il affirme que s’y sont succédé plusieurs ateliers antiques et médiévaux . Il y aurait donc eu une production verrière pérenne de l’antiquité jusqu’à la renaissance aussi bien en menu verre (gobeletterie) qu’en gros verre (verre en plat, verre à vitres). R. CHAMBON confronte ses analyses archéologiques avec des archives concordantes : l’an 1184, Pierre le verrier créa une rente annuelle de 24 sous au profit de la cure de Momignies (B) à prélever sur les revenus  » de sa fournaiche, del vivier et de la terre qui de les gist  » qui se trouvaient peu ou prou à ce même endroit que le futur Formathot. Ce Pierre serait le plus lointain verrier connu à ce jour en Thiérache. Mais voilà, les preuves manuscrites de R. CHAMBON n’ont à ma connaissance pas été retrouvées, et certains scientifiques mettent en doute la thèse des fours antiques au Formathot. Ce qui est sûr, c’est que ce hameau connaîtra maints fours temporaires de la période mérovigienne jusqu’au 17ème siècle, dont notamment le Grand Four ou Four Hennuyer .

Cette balade nous amène à faire des va-et-vient de part et d’autre de la frontière. Côté français, est fondée vers 1293 une verrerie sur le territoire de Wimy (02500), au lieu-dit Quiquengrogne. De nombreux auteurs, et la tradition orale, indiquent, malheureusement sans source précise, que la plus ancienne mention de verrerie à bouteilles en France est celle de Quiquengrogne. Quiquengrogne, réputée pour n’avoir jamais discontinué dans sa production, a fermé définitivement ses portes peu après 1910. Ses bâtiments ont été malheureusement rasés dans la seconde partie du 20ème siècle.

Retour côté Hainaut. Deux siècles après Pierre le Verrier, en 1378, CHAMBON mentionne deux frères, Jehan et Collart dits  » dou Four « , verriers installés au hameau du Formathot. Les enfants de Collart prendront le nom de DUFOUR puis COLLINET. Au fil des siècles et jusqu’en 1900, cette famille COLLINET/COLLENET deviendra sous le nom de COLINET et De COLNET, la famille verrière autochtone la plus ancienne et importante de Thiérache. Elle détiendra même au 18ème siècle, alliée avec la famille LE VAILLANT dite d’origine normande, le monopole sur la production du verre en Thiérache. Des LE VAILLANT étaient déjà implantés en Thiérache en 1600, notamment à la verrerie de Rocquigny (08220).

Tradition verrière en Avesnois Thiérache

La condition de verrier est une histoire de famille : les secrets de fabrication doivent se garder entre pairs. Ils sont la base de nombreuses alliances entre les familles pratiquant ce savoir-faire. Mais les verriers sont souvent soumis à l’expatriation. Un four ne peut faire vivre qu’une petite quantité de personnes. Pour le surplus des enfants, ou d’héritiers lors des partages des fours, il est nécessaire d’essaimer, de trouver plus loin un nouvel outil de production et de nouveaux débouchés. Le 15ème siècle va connaître une multiplication de fours temporaires sur tout le territoire de la Thiérache. C’est du moins que ce l’on peut reconstituer sur bases des archives les plus connues. Dès 1410, dit CHAMBON, un Collechon COLINET prend en location le lieu dit  » la Loge Wastiaux  » (B), endroit où, selon un document de 1414, on avait cette année-là  » replacé les deux fours  » d’une verrerie dont l’origine était antérieure à 1404, date à laquelle elle avait été louée à Colard de Croisil  » . Mais ces déplacements sont aussi dûs à d’autres causes. Une chronique de 1466 indique qu’un Jehan COLLINET ne s’est pas acquitté de sa redevance (à la cure de Momignies ?) car  » depuis le ghere si nen poelt ou riens avoir  » [depuis les guerres, on ne sait rien en obtenir], vu qu’il est allé  » demorer en France et tient ce four en fief et n’y oevre plus  » . Ce Jehan COLINET s’est peut-être déjà installé sur la frontière, vers Fourmies (59610)-Mondrepuis (02500). Une lettre de Joseph Auguste DE COLNET datée du 2 mars 1839 y mentionne trois fours à cette époque : le Houy Berland sur la route d’Anor, le Houy-Blond sur la route de Montplaisir, et le Four Joli près du chemin du dachet à Mondrepuis. François 1er aurait, vers 1500, reconfirmé l’autorisation de ces verreries faite par ses prédécesseurs. Autre possibilité, toujours territoire de France, un peu plus à l’est sur la frontière, en 1504, on trouve mention d’un four à verre dit le Four Gérard à Signy-Le-Petit (08380).

Différentes branches COLINET passeront régulièrement la frontière, et essaimeront bien au-delà de la Thiérache (jusqu’en Argonne), notamment pour la production du verre en plat. Fin 15ème siècle, on les retrouve à Quiquengrogne et La Folie (dit Follemprise, actuellement Beauregard commune de Clairfontaine, 02260) et à Fontaine-L’Evêque puis Leerne (B). Le 16ème siècle est marqué par leur essor et le 7 avril 1559, les COLINET alliés aux FERRY obtiennent des franchises de Philippe II, notamment Nicolas et Adrien COLNET à Barbençon, Jean COLNET et Paul FERRY à Froidchapelle, Enguerrand et François COLNET à Momignies (le Surginet, commune de Beauwelz), et d’en bien d’autres places des Pays-Bas Espagnols.

A citer également sur la frontière la verrerie des Chamiteaux dans la forêt de Saint-Michel-en-Thiérache (02830). Parfois, l’industrie du verre et celle des forges se confondent : en 1687-1697, un Nicolas POLCHET est cité à la fois maître de forge et détenteur d’un four à verre à Forges (B).