Jean Richepin« Je suis le fils d’une gueuse
Qui, dans ses désirs fougueuse,
Comptait ses maris par cents ;
Si bien que les médisants
M’appellent nœud de vipères,
Enfant de trente six pères
Sans compter tous les passants.
Je n’ai pas connu la garce
Qui m’a joué cette farce
De me cacher mon papa.
Lorsque la mort l’attrapa,
Elle ferma sa paupière
En dansant de la croupière
Sans dire meâ culpâ… »

Jean Richepin, extrait de « FILS DE FILLE »

En fait, la valeur que respecte Jean Richepin, c’est la liberté… Et c’est là un point commun avec une autre grande figure de la Thiérache, Camille Desmoulins… Est-ce un trait de caractère du Thiérachien ? Est-ce à cause de cette sacro sainte Liberté que le Thiérachien qui la pratique dans un environnement difficile et souvent ingrat lui résiste et jalouse sa rudesse ? Est-il bâti à l’image du sanglier solitaire qui peuplait jadis avec sa harde la contrée arrachée à la forêt ardennaise ? Maurice BARRES disait donc à Jean RICHEPIN

« Vous êtes bien un homme du terroir français !  » . Il aurait dû ajouter quelque part le mot libre, ou inclure à son discours la notion de liberté. Même lorsque l’on croit que Jean Richepin se complet à la description d’une situation banale, d’une cour de ferme et de sa volaille, ce n’est que pour mieux conclure que les seules vraies valeurs sont celles de la LIBERTE. Mais d’aucuns qualifient alors ces gens d’anarchistes et agitent à tous vents les épouvantails qui leur tombent sous la main ! Ont-ils peur qu’ils échappent à leur autorité, à leur pouvoir ? Ne savent-ils pas qu’eux aussi ne sont que de passage ?

Bien sûr, il y aura après d’autres romans, des pièces de théâtre, et les accents de la chanson des gueux seront quelque peu atténués par le temps, mais jamais oubliés. Jean Richepin restera le poète des gueux.

Comment l’élection à l’Académie Française avait-elle été obtenue ?

Le scrutin a eu lieu le 5 mars 1908.
Les candidats au deuxième fauteuil, celui de M. André Theuriet, étaient:
MM. Edmond Haraucourt, Jean Labor (docteur Cazalis), Henri de Régnier et Jean Richepin. Coïncidence ? Alors que Jean Richepin avait « adopté » la Thiérache » comme terre natale, un autre candidat à l’élection était né de parents originaires de Vigneux ! C’était Henri de Régnier ! Les tours de scrutin se sont succédés : Monsieur Richepin a été déclaré élu.

Et pourtant, avant d’en arriver à ce fauteuil… Jean Richepin fit tout d’abord ses études à Douai, puis à Paris. Il devient élève de l’école normale supérieure. Il appartient à la promotion de 1868, avec Victor Brochard, Maxime Collignon, Gustave Bloch… Et apprend le latin et le grec… Bien avant l’argot qu’il utilisera dans la chanson des gueux.. Il s’engagea, pour faire la guerre de 1870, et fit le coup de feu dans un bataillon de francs-tireurs de Bourbaki. En 1871, il vit la commune de Paris:

« Les balles sifflaient à travers Paris, des quartiers entiers brûlaient et des hommes, aujourd’hui au sommet de leurs ambitions, vivaient alors péniblement et fort obscurément »

Jean Richepin était du nombre ; il venait de quitter l’Ecole normale et habitait une mansarde, au dernier étage, il n’est pas besoin de le dire, d’un immeuble de la rive gauche. Quelques amis l’y rejoignaient pour parler, assis sur le lit, de poésie, d’avenir, et, évidemment aussi, des temps et de la misère présente. La clé était chez la concierge ; parfois les amis arrivaient avant le locataire de ce logis rudimentaire.

Un jour, Richepin, qui portait une cape d’hidalgo, revient un peu essoufflé, ce n’est pas tellement parce qu’il a monté l’escalier en courant, mais aussi parce qu’on se bat dans les environs ; il ouvre son manteau, on entend quelques balles rouler sur le carrelage…

« Oui, je crois qu’on a tiré sur moi, » dit-il négligemment. Et l’ancien camarade de Jean Richepin ajoute qu’un quart d’heure après, ayant passé sur le toit par la tabatière, et installés sur un matelas, les jeunes hommes présents regardaient brûler Paris, tandis que l’auteur du Chemineau, drapé dans sa cape espagnole, leur déclamait, avec de grands gestes, l’incendie de Rome, de Victor Hugo, et, d’une voix profonde, exhalait devant le décor réel et embrasé, la joie de Néron. » Licencié ès lettres, il vécut à sa guise, tour à tour professeur libre et matelot, mais cependant rédacteur de la « Vérité » et du « Corsaire ». C’est en ces temps là qu’il écrivit les « Etapes d’un réfractaire ». En 1883, il joue lui-même son oeuvre en portant à la scène « Nana-Sahib », et donne la réplique à Sarah Bernhardt.

Dans la presse, l’accueil de l’élection de Richepin.

« … l’élection de jeudi à l’Académie Française, a répandu une joie immense dans la famille des lettres françaises, – la joie de voir, parmi tant d’étoiles, la véritable étoile programmée. Au dernier scrutin, il n’y a pas eu d’ambages, ni de réserves, ni de doute. Chacun s’est dit « Voici le Maître ». Et on l’a accueilli avec transport ! Et, pour que cette manifestation fut plus éclatante,, on a vu François Coppée, le poète délicat entre tous, admirable de foi et de courage, quitter son lit de souffrance et faire ce geste sublime, héroïque, de venir voter pour Jean Richepin. » « Le siècle » du 19 février 1909. Voici le premier Algérien qui entre à l’Académie Française, car Richepin est un naturel de Médéa, ville charmante d’Algérie célèbre par le bon vin de ses coteaux. Richepin, l’artiste des truands, le Villon de la troisième République, ne pouvait naître que dans un pays où les roses éclatent sous les tonnelles, où des Silènes joyeux s’ébattent parmi les pampres. Mais né à Médéa, il est aussi un indigène du quartier latin. Il y fut des années le héros et le dieu. Il y fut l’incarnation du lyrisme et de la liberté de vivre. Il est très cher aux hommes de sa génération et de la nôtre pour avoir été un libre esprit… »

Le Monde Artiste, du 8 mars 1908.