Mais quelle fut la personnalité de ce poète?

En 1909, lorsqu’il est reçu à l’Académie Française,
il a soixante ans.

«Tout n’est pas chanson, Monsieur, dans ce royaume de bohème, où vous plantiez votre étendard. Il y a toujours eu une extrême difficulté, pour les adolescents enivrés de pensée pure, à s’adapter aux conditions régulières d’une existence qui, fatalement, déçoit leurs premiers rêves. Depuis la Rue de Fouarre, où Dante venait s’asseoir sur les bottes de paille, jusqu’à ce quartier de la Glacière où campent aujourd’hui de jeunes slaves ivres d’intellectualisme, elle est éternelle l’histoire des jeunes clercs malheureux pour avoir rejeté le prosaïque de la vie. Voici la potence où VILLON faillit être pendu, la lanterne où s’accrocha Gérard de NERVAL, une nuit d’abominable détresse ; le marchand de vin où VERLAINE se détruisait, et voici, pour tout dire, les préaux du Luxembourg où, dans la semaine de Mai 1871, les réfractaires de VALLES attendaient leur destin. C’est à vous, Monsieur, qu’est échu, dans votre génération, le redoutable honneur de donner une voix à ces malchanceux.»

Maurice BARRES, discours de réception de l’écrivain à l’Académie Française.

Plus loin, dans le même discours, on trouve :

«VALLES, MURGER, BAUDELAIRE, Pétrus BOREL et les romantiques de l’impasse du Doyenné, voilà les éléments de cette bohème composite où vous avez régné.»

A l’époque de sa réception sous la coupole, il apparaît bien qu’il soit rentré dans la ligne bourgeoise derigueur à l’Académie :

«Vous avez débuté dans la littérature par une brochure sur Vallès, où vous rejetiez sa conception du réfractaire, parce qu’elle enveloppe une idée de destruction. C’était en 1872, et la commune avait plutôt diminué la valeur de ces lettrés en révolte. Ses premières ruines épouvantaient tout le monde, et il y eut alors dans ce qu’on pourrait appeler l’évolution de la bohème une régression. Les jeunes hommes de lettres reculèrent sur leurs aînés immédiats ; ils se détachèrent de la politique et même de l’utopie sociale. Votre oeuvre l’atteste. Vous n’avez jamais allumé d’incendie que dans votre imagination, et vous ne souhaitez rien de plus que les feux de l’aurore et les embrasements d’un beau coucher de soleil.»

La Chanson des gueux

Doit-on considérer ce recueil de poèmes comme son oeuvre majeure ? Sur le plan de la littérature, je ne suis certainement pas apte à porter un jugement. Ce recueil permet cependant de situer Jean Richepin dans le contexte de la société de cette fin du XIXème siècle. C’est par cette phrase qu’un critique, resté anonyme, accueille l’ouvrage, dans la revue « Le charivari » : « Ce livre est non seulement un mauvais livre, mais encore une mauvaise action ». A la suite de cet article, Jean Richepin sera condamné à un mois de prison ferme, qu’il fera, à cinq cents francs d’amende, de l’époque, qu’il payera, ainsi qu’à la déchéance de ses droits civiques ! L’ouvrage, lui, sera détruit. La chanson des gueux, qui avait été publiée en 1876 par la Librairie Illustrée, sera à nouveau publiée en 1881, par Maurice DREYFOUS, et on trouvera, sous la même reliure, « les pièces supprimées », éditées chez Henry KISTEMAECKERS (Editeur à Bruxelles) .

Dans un « ante-scriptum », (rédigé après la préface…) ! Jean Richepin déclare :

 » … j’ai le regret d’annoncer aux amateurs de choses prohibées qu’ils n’y trouveront point les pièces supprimées par la justice. A l’impossible nul n’est tenu, et je ne puis pas faire que la condamnation n’existe pas. An vain ai-je fouillé en tous sens ma fertile imaginative, et je n’ai su inventer aucun biais pour tourner l’impossibilité susdite ».

Et, plus loin :

« Non ; il n’y avait pas à dire, il fallait courber la tête, s’avouer vaincu, et boire le calice jusqu’à la lie. Les pièces supprimées sont bien et dûment supprimées. A moins que la librairie belge ne s’en mêle, on en doit faire son deuil. Très petit deuil, d’ailleurs, qu’on ne l’ignore pas. En somme, la main pudique de la justice n’a, dans le bouquet de la « Chanson des gueux », arraché que deux fleurs entières, tout à fait vénéneuses, celles-là, paraît-il : la « ballade de joyeuse vie » et le « Fils de fille ». Pour le reste, elle s’est contentée de retrancher par ci par là quelques pétales comme dans « Idylle de pauvres » et « Frère, il faut vivre » ou de couper une queue comme dans « Voyou ». A part ces cinq mutilations, le livre est donc ici comme il était la première fois. Tel ? Non pas absolument. Je l’ai, en effet, quelque peu remis sur l’établi, et retravaillé en plus d’un endroit. Mais ce ne fut point avec des idées moralisatrices et castratoires, sarpejeu ! Ce fut uniquement comme un bon et consciencieux ouvrier qui, ayant trouvé des fautes, les corrige, et ayant aperçu des trous, les bouche. » Et le libraire Belge s’en mêla ! « Eh bien ! L’on n’en fera pas son deuil, car la librairie belge s’en est mêlée.Ces pièces, que la main pudibonde et cruelle de la justice avait mutilées ou arrachées du volume, ces galeuses, ces pelées, ces proscrites, on est venu me demander de les recueillir, de recoudre leurs plaies, et de les emmailloter en une plaquette comme des enfants perdus qu’on ramasse et réchauffe en un bout de lange. J’ai accepté sans le moindre scrupule et avec joie. D’abord, parce que ces pièces, je ne les ai moi, jamais condamnées, ayant, au contraire, protesté de toutes mes forces contre l’arrêt qui les déclare coupables. Ensuite, fussent-elles coupables, je ne me croirais pas en droit de les renier. J’estime qu’il faut reconnaître tous les enfants qu’on fait. Et voilà pourquoi, au risque d’encourir encore les reproches de quelque Tartufes de moeurs, je signe l’acte de naissance de ces poèmes, et me proclame leur père, crânement et le front haut. »

Paris, le 7 juin 1881.