L’arrestation de Danton, de Camille DESMOULINS et de leurs amis fut connue au petit matin. Elle parut d’une témérité immense, et fit taire tout le monde par la peur de celui qui osa prendre cette mesure. Bientôt, après leur arrestation, l’ordre vint de séparer les compagnons de Danton et de Camille DESMOULINS. Chacun fut enfermé seul dans une cellule. Legendre, leur seul ami resté en liberté, tanta bien de prendre leur défense à la tribune de la convention. Il réussit presque à émouvoir la convention, jusqu’à l’arrivée de Robespierre en personne, lequel dans un discours enflammé cite les «amis» dont il a déjà dû se défaire afin de «défendre l’ intégrité de la république». Il termine par «Le nombre des coupables n’est pas si grand.» Legendre lui même abandonna la défense de Camille DESMOULINS et de Danton, de ses amis, craignant que le discours de Robespierre ne se termine en un acte d’accusation contre lui-même. Saint-Just se présenta alors à la tribune, et produisit le rapport qu’il avait précédemment préparé avec Robespierre et qui se termine ainsi :

«Projet de décret. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de sûreté générale et de salut public, décrète d’ accusation Camille DESMOULINS, Hérault, Danton, Philippeaux, Lacroix, prévenus de complicité avec d’ Orléans et Dumouriez, avec Fabre d’Eglantine et les ennemis de la république ; d’avoir trempé dans la conspiration tendant à rétablir la monarchie, à détruire la représentation nationale et le gouvernement républicain. En conséquence, elle ordonne la mise en jugement avec Fabre d’Eglantine.»

En prison. Camille DESMOULINS obtint un jour, d’un garde, qu’il puisse faire passer une lettre à Lucile. La voici :

«Ma destinée ramène dans ma prison mes yeux sur ce jardin où je passai huit années de ma vie à te voir ; un coin de vue sur le Luxembourg me rappelle une foule de souvenirs de nos amours. Je suis au secret, mais jamais je n’ai été, par la pensée, par l’imagination, presque par le toucher, plus près de toi, de ta mère, de mon petit Horace. Je ne t’écris ce premier billet que pour te demander des choses de première nécessité ; mais je vais passer tout le temps de ma prison à t’écrire, car je n’ai pas besoin de prendre ma plume pour autre chose que pour ma défense. Ma justification est tout entière dans mes huit volumes républicains. C’est un bon oreiller sur lequel ma conscience s’endort dans l’attente du tribunal et de la postérité. Je me jette à tes genoux, j’étends les bras pour t’embrasser, je ne trouve plus… Envoie moi le verre où il y a un C. et un D., nos deux noms ; un livre que j’ai acheté il y a quelques jours, et dans lequel il y a des pages en blanc exprès pour y recevoir des notes. Ce livre roûle sur l’immortalité de l’âme. J’ai besoin de me persuader qu’il y a un Dieu plus juste que les hommes, et que je ne puis manquer de te revoir. Ne t’affecte pas trop de mes idées, ma chère amie. Je ne désespère pas encore des hommes. Oui, ma bien-aimée, nous pourrons nous revoir encore dans le jardin de Luxembourg. Mais envoie-moi ce livre. Adieu Lucile ! Adieu Horace ! Je ne puis pas vous embrasser, mais aux larmes que je verse il me semble vous tenir encore contre mon sein…» «Ton Camille».

à l'échaffaud

Parodie de procès

La loi prévoyait que ce genre de procès devait durer au moins trois jours, trois jours pendant lesquels les accusés avaient le droit de se défendre, trois jours avant que la sentance ne fut prononcée. Tout fut mis en place pour fausser le débat. Un décret fut même promulgué pour interdire les accusés de parole… Lucile fut elle aussi arrêtée, de peur que sa popularité ne puisse sauver Camille DESMOULINS et ses amis. Plus qu’une longue étude ou une longue reproduction des débats, cette citation d’un entretien entre deux jurés du procès : SOUBERDIELLE, ami de Danton et Camille DESMOULINS, qui avait été, rappelez-vous, le témoin d’un dialogue entre Camille DESMOULINS et Danton dans lequel Danton incitait Camille DESMOULINS à reprendre la plume, et TOPINO-LEBRUN, reflète parfaitement le contexte du «procès» de Camille DESMOULINS. Souberdielle, un ancien ami de Danton, hésitait…

Il fut abordé par Topino-Lebrun : «- Eh bien, Souberdielle, que fais tu là ? – Je médite sur l’acte terrible qu’on veut obtenir de nous. – Et moi, j’ai médité. – Qu’as tu décidé? – Je me suis dit, ceci n’est pas un procès, c’est une mesure. Les circonstances nous ont porté à une de ces hauteurs où la justice s’évanouit pour ne plus laisser dominer que la politique. Nous ne sommes plus des jurés, nous sommes des hommes d’état. – Mais y a-t-il deux justices ? Une pour le vulgaire des hommes, une autre pour les hommes supérieurs ? Et l’innocence en bas deviendrait-elle crime en haut ? – Bah ! Il ne s’agit pas de ces argucies, mais de bon sens et de patriotisme. Nous sommes où nous sommes. La république est à une de ces extrémités où le jugement n’est pas une justice, mais un choix. Danton et Robespierre ne peuvent plus s’accorder. Il faut pour sauver la patrie que l’un des deux périsse ! Eh bien, interroge-toi en bon patriote et réponds-toi en conscience : lequel crois-tu le plus indispensable à la république, de Robespierre ou de Danton , – Robespierre ! – Eh bien, tu as jugé.»

Et sur ce Topino-Lebrun s’éloigne. L’exécution. Hérault de Séchelles descendit le premier de la charrette. Longtemps révolté, ayant gesticulé et invectivé la foule de le défendre, lui rappelant qu’il avait été le premier à l’armer pour créer cette révolution qui maintenant le condamnait, Camille DESMOULINS avait retrouvé son calme. On rapporte qu’au moment où le convoi était passé devant la demeure de Robespierre, celui-ci aurait dit «Ce pauvre Camille DESMOULINS, que n’ai-je pu le sauver… … La révolution reconnaîtra les siens de l’autre côté de l’échaffaud.» S’approchant de la lame, les dernières paroles de C.D. furent : «Voilà donc la fin du premier apôtre de la liberté ! Les monstres qui m’assassinent ne me survivront pas longtemps.» S’adressant au boureau : «Fais remettre ces cheveux à ma belle-mère.» Lucile. Lucile avait été arrêtée pendant le procès de Camille DESMOULINS. Elle sera elle aussi condamnée par la terreur. Madame Duplessis, la mère de Lucile, tenta de rencontrer tous les titulaires d’une parcelle de pouvoir, afin de leur implorer la grâce de Lucile. Celle ci n’avait en effet rien à voir avec la révolution, si ce n’est d’être très populaire, si ce n’est que sa beauté et sa grâce étaient à même d’embraser les foules, si ce n’est qu’elle représentait quasiment un mythe.

Madame Duplessis écrivit cette lettre à Robespierre, lettre qui resta sans réponse :

«Robespierre, ce n’est donc pas assez d’avoir assassiné ton meilleur ami, tu veux encore le sang de sa femme, de ma fille !… Ton monstre de Fouquier-Tinville vient d’ordonner de la mener à l’ échafaud. Deux heures encore et elle n’existera plus. Robespierre, si tu n’es pas un tigre à face humaine, si le sang de Camille DESMOULINS ne t’a pas ennivré au point de perdre la raison, si tu te rappelles encore nos soirées d’intimité, si tu te rappelles les caresses que tu prodiguais au petit Horace, que tu te plaisais à tenir sur tes genoux ; si tu te rappelles que tu devais être mon gendre, épargne une victime innocente ! Mais si ta fureur est celle du lion, viens nous prendre aussi, moi, Adéle et Horace : viens nous déchirer de tes mains encore fumantes du sang de Camille DESMOULINS. Viens, viens, et qu’un seul tombeau nous réunisse.» Cette lettre restera sans réponse. Lucile, de sa prison analyse parfaitement la situation, au retour de la séance du tribunal qui prononça sa condamnation : «Bonsoir, ma chère maman, une larme s’échappe de mes yeux, elle est pour toi. Je vais m’endormir dans le calme et la sérénité».

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