Quelle est la situation générale?

La querelle avait duré longtemps, s’amplifiant à la sortie de l’un ou l’autre des journaux. Camille DESMOULINS y allait bon train. En fait, la querelle opposait trois personnes et leurs entourages : HEBERT, DANTON et ROBESPIERRE. Hébert, farouche partisan du comité de salut public pense être un intouchable «au milieu de sa commune.» Robespierre recherche le pouvoir, pour lui seul. Camille DESMOULINS pense que Danton peut l’aider à terminer la révolution, en supprimant la terreur. S’ensuit une série de séances de la Convention Nationale qui ne sont en fait qu’attaques personnelles de toute part, où l’honnêteté de chacun est mise en doute. Camille DESMOULINS est alors exclu des Cordeliers. On voit même Robespierre se ranger aux côtés de Camille DESMOULINS, sur le fond, quand il attaque Hébert. Cependant, il attaque également Camille DESMOULINS qu’il accuse alors de faire le jeu des aristocrates, en attaquant Hébert. A ce moment, Camille DESMOULINS n’est pas assez adroit pour ne pas faire de Robespierre un ennemi. En effet, celui-ci hait trop Hébert pour vouloir sa perte, mais juge que concourir à celle du journaliste Desmoulins peut enrichir sa gloire. RONSIN et VINCENT sont arrêtés, puis relachés. Ils ont en effet participé aux événements de Vendée et de Lyon, dont personne ne tient à parler en public. En les relachant, le comité de salut public relâche deux «revanchards». Pendant ce temps, la situation économique n’est guère brillante. La convention, en voulant encadrer le commerce de ses lois ( loi du maximum, qui détermine les prix et les marges bénéficiaires), va en fait créer un marché noir qui défavorisera encore plus le peuple. Les échanges entre Paris et les provinces s’amenuisent. La situation est favorable à une nouvelle explosion. Les Hébertistes tiennent la commune, les Cordeliers, les Jacobins ; ils ont dans l’assemblée nationale et les comités de nombreux amis. Pendant ce temps, Camille DESMOULINS écrivait de nouveaux numéros. Il avait déjà attaqué COLLOT et BARRERE. Dans sa lettre à Dillon, il s’était attaqué au fanatisme dogmatique de SAINT-JUST. Il avait irrité ROBESPIERRE aux Jacobins.

Robespierre et Saint-Just, habitués à présenter devant la Convention, les rapports qui devenaient les sujets des débats, présentèrent alors deux rapports : l’un sur « Les principes de morale qui devaient diriger le gouvernement révolutionnaire.», l’autre «sur les détentions dont Camille DESMOULINS s’était plaint dans le Vieux Cordelier.» Robespierre s’était exprimé ainsi : «…Nous voulons substituer dans notre pays… …toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.» Pour cela , il fallait un gouvernement austère, énergique, qui soit capable de surmonter les résistances de toutes espèces. Abondant dans ce sens, Saint-Just estime qu’il existe deux factions «L’une qui voulait changer la liberté en bacchante, l’autre en prostituée.» A la suite de ces deux rapports de Robespierre et de Saint-Just, le comité présenta deux rapports, parmi lesquels le comité de sûreté générale était seul investi du pouvoir d’examiner les réclamations des déténus, et de les élargir s’ils étaient reconnus patriotes. Le 23 ventôse, (13 Mars), dans un nouveau rapport emprunt d’une violence fanatique, Saint-Just dénonce les ultra-révolutionnaires et leur tentative de conspiration, exécutée en faisant courir le bruit d’un faux décret qui leur était favorable. Il y dénonce Vincent, Ronsin, Hébert, Chabot, Fabre d’Eglantines, Momoro, Ducroquet, et quelques autres intrigants obscures de la faction des Cordeliers.

Dans la nuit du 23 au 24, Fouquier-Tinville fait arrêter Hébert, Vincent, Ronsin, Momoro, Mazuel, le banquier Kock,… Le procès des conspirateurs commencera le 1er germinal (20 Mars). Ils furent exécutés le 4. L’arrestation. Camille DESMOULINS put un instant se réjouir d’avoir osé attaquer Hébert et ses amis. Il fut dans ce sens un moment soutenu par Robespierre. Mais il ne fallait pas croire qu’on allait sombrer aussitôt dans un esprit de clémence. Le comité de salut public sentait qu’il devait, par un nouveau sacrifice, se laver d’un éventuel reproche de modération. Il se réunit, renforcé du comité de sûreté. Dans un nouveau rapport d’ une incroyable violence, Saint-Just demande l’arrestation de Danton, de Camille DESMOULINS et de ses amis. Dans la nuit du 1O au 11 germinal, ils sont arrêtés à l’improviste, et conduits au Luxembourg. C’est un nouveau rapport de Saint-Just qui décidera du décret d’accusation : «C’est lui qu’on déchaînait contre les victimes, parce qu’à la subtilité nécessaire pour faire mentir les faits et leur donner Lucile Desmoulins une signification qu’ils n’avaient pas, il joignait une violence et une vigueur de style rares.»

Lucile Desmoulins

L’acte d’accusation

On peut croire que toute la «mise en scène a été effectuée avant même l’arrestation de Camille DESMOULINS et de Danton. C’était quelques jours avant l’arrestation, à la suite d’un dîner en tête à tête entre Robespierre et Danton, qui s’était passé à Charenton. Robespierre rentrait chez lui en compagnie d’un ami. «…Il garda un silence absolu pendant le trajet de Charenton à la rue Saint-Honoré. Arrivé à la porte de sa maison : «Tu le vois» dit-il à l’ami qui l’accompagnait, «il n’y a pas moyen de ramener cet homme au gouvernement. Il veut se repopulariser aux dépens de la république. Dedans il la corrompt, dehors il la menace. Nous ne sommes pas assez forts pour mépriser Danton, nous sommes trop courageux pour le craindre ; nous voulions la paix, il veut la guerre, il l’aura !!» A peine rentré dans sa chambre, Robespierre envoya chercher Saint-Just. Ils restèrent enfermés une partie de la nuit, et pendant de longues heures les jours suivants. On croit qu’ils préparèrent et combinèrent, dans ces longs entretiens, les rapports et les discours qui allaient éclater contre Danton et ses amis.»