Le pamphlet mortel
«La victoire est restée aux jacobins, parce qu’au milieu de tant de ruines de réputations colossales de civisme, celle de Robespierre est debout. Déjà fort du terrain gagné par la maladie et l’absence de Danton, le parti de ses accusateurs, au milieu des endroits les plus touchants, les plus convaincants de sa justification, huait, secouait la tête et souriait de pitié comme au discours d’un homme condamné par tous les suffrages. Nous avons vaincu cependant, parce que, après les discours foudroyants de Robespierre, dont il semble que le talent grandisse avec les périls de la république, et l’impression profonde qu’il avait laissée dans les âmes, il était impossible d’oser élever la voix contre Danton, sans donner, pour ainsi dire, une quittance publique des guinées de PITT. Depuis la mort de ce patriote éclairé et à grand caractère que j’osais appeler, il y a trois ans, le divin MARAT, c’est la seule marche que tiennent les ennemis de la république. Et j’en atteste soixante de mes collègues, combien de fois j’ai gémi dans leur sein des funestes succès de cette marche ! Enfin Robespierre, dans un premier discours dont la convention a décrété l’envoi à toute l’Europe, a soulevé le voile. Il convenait à son courage et à sa popularité d’y glisser adroitement, comme il a fait, le grand mot, le mot salutaire : que PITT a changé de batteries ; qu’il a entrepris de faire par l’exagération ce qu’il n’avait pu faire par le modérantisme, et qu’il y avait des hommes politiquement contre- révolutionnaires qui travaillent à former, comme Roland, l’esprit public, et à fausser l’opinion en sens contraire, mais à un autre extrême également fatal à la liberté. Depuis, dans deux discours non moins éloquents aux Jacobins, Robespierre s’est prononcé avec plus de véhémence contre les intrigants qui, par des louanges perfides et exclusives, se flattaient de le détacher de tous ses vieux compagnons d’armes et du bataillon sacré des Cordeliers, avec lequel il avait si souvent battu l’armée royale. A la honte des prêtres, il a abandonné le Dieu qu’ils abandonnaient lâchement.»
Là, Camille DESMOULINS faisait refléter le génie de Tacite sur les forfaits modernes ; le français sous sa plume devint concis et lapidaire comme le latin.
Hébert, stigmatisé dans ces feuilles, poussa des cris de douleur et de rage sous le stylet de Camille DESMOULINS. Il ne cessait de provoquer son expulsion des Jacobins, et de le dénoncer aux Cordeliers… …Camille DESMOULINS, désavoué par Danton et grondé par Robespierre, commença à sentir qu’il avait mis la main entre deux colosses qui allaient l’écraser dans leur choc.» Cependant, le pamphlet lui même, outre une plaidoirie pour la clémence, contenait également le dénouement de l’affaire. Camille DESMOULINS cependant n’avait pas entrevu le fait que ce dénouement mortel serait également, dans le même temps, celui de DANTON, celui de ses amis.
Les articles de Roch Marcandier…
Lui aussi s’indigne des massacres de la terreur. En 1793, il publie “Histoire des hommes de proie, ou les crimes de comité Révolutionnaire”. Il y cite les noms de ceux qu’il considère comme les responsables de ces tueries : Danton, Robespierre, Marat, et aussi Desmoulins … Ensuite fâché avec Desmoulins, il se démarque de celui-ci en signant ses articles : Roch Marcandier, ancien ami de Desmoulins ! Devenant un véritable “résistant”, il se cache, se réfugie dans des greniers, d’où il rédigera, imprimera, distribuera lui-même ses journaux. Ceux-ci sortiront douze fois entre le 10 mai et le 16 juillet 1793. L’ entreprise est tout à fait familiale, puisque son épouse se fait arrêter un jour, alors qu’elle cherchait à recruter des distributeurs. Elle est alors jetée en prison. La défense de son épouse est assurée par l’intermédiaire de la publication d’articles dans le journal des Girondins, “Le courrier des départements”, dirigé par Gorsa. Cette prise publique de position aboutit alors à la libération de son épouse. Ce n’est pas pour autant que Roch se calme. Il attaque Saint-Just et la Convention. Les deux époux sont toujours recherchés par la police. L’esprit de famille règne, puisque Roch se réfugie successivement chez sa sœur, puis chez son frère. Celui-ci perd son emploi, pour l’avoir hébergé. Puis ce sont les “connaissances régionales” : le Général Belair, qui commandait les armées à Réunion sur Oise (aujourd’hui quartier de Guise) Ce sera le même Conventionnel Legendre, qui avait déjà abandonné (trahi) Camille DESMOULINS, qui livrera Roch Marcandier et sa femme au Comité de sûreté générale.
Le 1er juillet 1794, Robespierre dénonce à la tribune des Jacobins, un nouveau complot, dont il accuse “le secrétaire de Camille DESMOULINS Desmoulins” Le 11 juillet 1794, il comparaît devant le tribunal révolutionnaire. Ils étaient accusés “de s’être mis dans les rangs des ennemis du peuple, d’avoir provoqué la dissolution de l’Assemblée Nationale par leurs écrits, de les avoir distribués et colportés”, et furent condamnés à mort. Le 12 juillet, ils furent les premiers de cette “charrette”, à monter sur échafaud.