Fourmies le 1er mai 1891 : la grève
Pour le commissaire de police, bien renseigné, à la date du 26 avril, tout est calme à Fourmies. Les patrons, eux, s’inquiètent de voir s’organiser les ouvriers en dehors de leur contrôle. Ils demandent au maire, Auguste Bernier, lui-même patron, de faire appel à la troupe pour » prévenir tout incident « . Le sous-préfet d’Avesnes-sur-Helpe envoie des soldats, ils vont se regrouper non loin de la mairie, prés de l’église durant la nuit du 30 avril au 1er mai.
Fourmies le 1er mai 1891
Tout va très vite, il y a des coup de feu, des cris, une bousculade et la fuite. Le choc est terrible, 9 personnes ne se lèveront pas
Malgré la troupe et les menaces de licenciement, un cortège de grévistes sillonne la ville. Vers 9h00, ils sont environ 1500, ils appellent les ouvriers de » la Sans-pareille » à cesser le travail. Premier accroc, les gendarmes à cheval chargent et dispersent la foule, quelques blessés sont à déplorer. 5 manifestants sont arrêtés et conduits au commissariat, situé sur la place de l’église. Le défilé, cependant, se poursuit, il arrive vers 10h00 devant la mairie où sont déposés les revendications syndicales, la foule réclame également la libération des ouvriers emprisonnés. Ces demandent restent sans réponse. Vers 11h00 de nouvelles troupes de tirailleurs (cantonnés à Maubeuge) arrivent. En fait, la foule ne leur est pas hostile, beaucoup de soldats sont des enfants du pays et à dire vrai on les préfère aux gendarmes associés au pouvoir qui les opprime. Dans l’après-midi, de nouveaux cortèges se forment avec les mêmes revendications, il y a quelques heurts avec les gendarmes mais la troupe n’intervient pas. Vers 18h00, 2 cortèges se retrouvent devant la place de l’église. Beaucoup d’ouvriers sont partis, lassés ou tout simplement rentrés chez eux. Le ministère de l’intérieur parlera de 5000 manifestants, ce nombre est démesuré, des témoins donneront le nombre de 200 personnes. On peut imaginer 3 à 400 ouvriers, sans armes, certains ont des bâtons, d’autres ont ramassé des pierres. La nervosité est grande devant les gendarmes. Tout va très vite, il y a des coup de feu, des cris, une bousculade et la fuite. Le choc est terrible, 9 personnes ne se lèveront pas, parmi les victimes se trouve une jeune femme que l’on dit amoureuse et un garçonnet de 11 ans, autour d’eux on compte plus de 30 blessés. Au vue des impacts la troupe a tiré en l’air et à hauteur d’homme, de plus selon les dires de certains militaires » on a pu tester pour la première fois le fusil Lebel, jugé d’ailleurs très opérationnel « . La population est en état de choc. Les prisonniers sont conduits à Avesnes. De peur de représailles, la ville est en état de siège pendant plusieurs jours. Un défilé de 4 KM, avec à sa tête les dirigeants du mouvement ouvrier, mènera les victimes jusqu’au cimetière de Fourmies. L’enterrement se passera dans le calme.
Fourmies le 1er mai 1891 : l’après 1er mai
La grève continue à Sains-du-Nord, Avesnes, Wignehies et Fourmies. Culine est arrêté le 11 mai. Après 3 semaines de grèves, les patrons n’ont rien cédé et les ouvriers peu organisés et manquant de moyens reprennent le travail. Mais cette tragédie fait prendre conscience d’une collusion entre le patronat et l’état. Les autorités vont tenter de faire passer ce » carnage » pour un simple maintient de l’ordre face à des ouvriers révolutionnaires prêts à prendre la mairie. Les rapports et les témoignages de journalistes font voler en éclats ces explications. Aussi doit-on trouver d’autres responsables, Culine et Lafargue seront jugés la 4 juillet à Douai pour avoir lancé des appels au meurtre et à la guerre civile. Le journaliste antisémite Drumont essaiera de » récupérer » le 1er mai sanglant à des fins politiques, pour lui le sous-préfet Isaac est juif et responsable de cette tuerie. La presse de droite et la presse catholique tenteront de faire du curé Margerin, un homme de foi qui s’est interposé entre les balles et les ouvriers. Hors, les témoignages relatent que le curé a bien porté secours aux manifestants mais seulement quand la fusillade fut terminée. Le monde ouvrier perd des hommes et le mouvement ouvrier » gagne » des martyrs. On assiste à un grand sentiment d’indignation et de solidarité, régional, national et international. Paul Lafargue est en prison mais il mène la liste aux élections partielles de la première circonscription de Lille en septembre/octobre 1891. Il est élu au 2 ème tour et libéré de prison. Culine, lui, est condamné à 6 ans de prison. En 1892 il mène la liste de coalition ouvrière et radicale aux élections municipales de Fourmies, il échoue avec 901 voix. Il est cependant libéré le 9 novembre 1892 et part pour Reims. D’autres luttes seront menées afin d’améliorer les conditions de travail et de vie, en 1936, en 1968 etc. Le paysage industriel de Fourmies a bien changé, la crise a vidé les usines, puis elles ont été rasée. L’ancienne usine Masurel abrite aujourd’hui un musée. L’Avesnois est devenu un parc régional naturel et déclaré zone verte. Mais il est vrai que le 1er mai 1891 est resté une date importante pour les Fourmisiens, c’est malheureusement avec ses » martyrs » que cette commune fut connue internationalement.