Au début de 1914, la défense du territoire est organisée selon le plan XVII.

Celui-ci, basé sur un certain esprit d’offensive, prévoit la concentration de notre armée dès le douzième jour de la mobilisation. Dans le Nord de la Thiérache, doit se trouver le quatrième groupe de divisions de réserve ( 51ème, 53ème, 69ème ) du général VALABREGE.

Le plan XVII suppose que les premiers affrontements se produiront le long de la frontière Franco-Allemande. Une variante de ce plan prévoit cependant qu’une pénétration des forces allemandes par l’invasion du Luxembourg et de la Belgique reste possible. Cette supposition paraît une utopie pour les milieux politiques de l’époque. Ce fameux plan XVII était critiqué par certains même de ses exécutants, comme GALIENI ou son successeur à la tête de la Vème armée, le Général LANREZAC. Le 2 Aout, on apprend que les allemands envahissent le Luxembourg. Le 4, c’est le tour de la Belgique. C’est la faillite du plan XVII ; Lanrezac le comprend et se porte à la rencontre des troupes allemandes, vers Dinan. Il va trouver en face de lui la 1ère armée de VON KLUCK, et la 2ème de VON BULOW. La 2ème (RUFFEY) et la 4ème (CARY) armées françaises enregistrent une sévère défaite et de nombreuses pertes. La droite de l’armée de Lanrezac s’en trouve très affaiblie. Craignant d’être encerclé, il rompt le combat et recule sur une ligne AVESNES – ROCROI. Cette fois, le plan XVII a complètement échoué. Les 21, 22, 23 Août, ont lieu les batailles de NAMUR et de CHARLEROI.

L’état d’esprit des alliés

Il faut noter à ce moment une profonde anthipathie entre le maréchal FRENCH, commandant le 1er corps d’armée anglais, et Lanrezac. Cette anthipathie aura des conséquences fâcheuses. French refuse d’engager ses troupes le 24 Août et met Lanrezac en difficulté. Ensuite, c’est Lanrezac qui décroche sans prévenir French. Celui-ci prévient alors le commandant des troupes françaises que si le 1er corps d’armée anglaise est en difficulté, il se retirera sur ses bases (Le Havre, Rouen), laissant ainsi le soin à Lanrezac de couvrir lui même son aile gauche. Le 27 Août, le principal souci de JOFFRE est de maintenir la cohésion du flanc gauche de son armée. Il adresse au Général Lanrezac, qui a transporté son Quartier Général à MARLE «qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de ce que font les anglais sur son flanc gauche. Par contre, il tient comme très important que les anglais soient tenus au courant de ce qui se passe sur leur flanc droit.»

Mon Général !

« Le Pays Rostand occupé » (6), extraordinaire chronique de la vie quotidienne des régions de Montcornet et Rozoy-sur-Serre, faisant appel à la mémoire collective, réalisée par les élèves du collège « Le Ruisseau » de Montcornet, sous la direction de Jean et Marie-Odile LECLERE, est une source très importante de renseignements sur les cinquante deux mois de la période d’occupation allemande en Thiérache, et permet de bien comprendre quelles furent les difficultés de vie auxquelles furent confrontés nos grands parents et arrière grands parents en Thiérache.

En Aout 1914, l’Allemand n’est pas encore l’occupant. Voici une première anecdote extraite de cette publication : »Tavaux et Ponséricourt. Le 27 Août, le château de Tavaux et Pontséricourt a acceuilli le futur Maréchal Pétain. Il est venu passer la nuit la veille de la bataille de Guise. Il a été accueilli par le Comte et la Comtesse de F. Mobilisé comme colonel, il vient juste d’être promu au grade de général de brigade. La Comtesse entendant les officiers l’appeler « Mon Général », découvrit des étoiles provenant des uniformes de son père et de son oncle, tous deux généraux. Elle les mit à la place des galons de Colonel que le nouveau Général portait encore sur sa capote. C’est donc à Tavaux que Philippe Pétain porta pour la première fois ses étoiles de général ».

Témoignage

Par Alphonse Grasset, « La grande guerre vécue, racontée, illustrée par les Combattants », Aristide Quillet, 1922

« Dés le soir du 27 août 1914, la 5e Armée va donc se prouver de nouveau en flèche, menacée sur ses deux flancs. Lanrezac envisageait déjà l’éventualité d’une retraite sur Laon pour le 28, quand le colonel Alexandre, du Grand Quartier Général, vient lui porter l’ordre de prendre l’offensive sur Saint-Quentin. L’opération est scabreuse. L’armée est face au nord et c’est face à l’ouest qu’elle doit attaquer. Or selon toute apparence, l’ennemi tient déjà solidement Saint-Quentin, qu’il faudra emporter de haute lutte; et avant que Lanrezac n’ait eu le temps de préparer son changement de direction pour orienter ses forces vers le nouvel objectif qui lui est indiqué. Ne serait il pas lui même assailli en flanc par les colonnes allemandes déjà signalées au nord de l’Oise ? Mais il s’ait de retarder la marche de l’ennemi, de dégager l’Armée anglaise épuisée, de permettre à l’Armée Maunoury d’entrer en ligne, de donner aux autres Armées le temps de se ressaisir et d’accepter la bataille sur les positions fixées le 25 août. »

Il n’y a pas à discuter. Mission de sacrifice. Les préparatifs.

Lanrezac reçoit l’ordre d’attaquer vers le Nord. Il est contre, persuadé que les allemands vont attaquer GUISE. Dans la journée du 27 Août, le 228ème Régiment d’infanterie se déploie ainsi : premier bataillon à FLAVIGNY ; cinquième bataillon dans GUISE avec une compagnie au Familistère, une compagnie au pont de fer, et une compagnie au grand pont. Les journaux décrivent les atrocités faites par les allemands à Dinan et à Namur. Vers dix huit heures trente, Guise est évacuée. Il ne reste pas plus de cinq cents personnes. Sous la pression de Joffre, Lanrezac donne des ordres pour une attaque en direction de Saint-Quentin, malgré des mouvements de troupes extrêmement complexes. Le 28 au matin, à la surprise de Joffre, les allemands attaquent Guise, donnant ainsi raison à Lanrezac. De violentes altercations avaient d’ailleurs eu lieu entre Lanrezac et Joffre à ce sujet. Le Général en chef aurait même à cette époque menacé Lanrezac de le fusiller sans jugement s’il persistait dans son attitude hostile.(1)

Exode de 1915, habitants du Nord fuyant la guerre
La bataille de GUISE

A Guise, le 228ème Régiment d’Infanterie fait face aux allemands dans des combats de rue, et doit se replier par la rue Camille Desmoulins, la rue Chantraine, le jeu de paume ; il perd cent cinquante et un hommes sur deux cent dix sept. Voici à ce sujet le témoignage d’un civil de Guise (2) «Au lever du jour les hauteurs de la ville, lesquelles forment le fer à cheval, étaient garnies de pièces de canon, et on cite le «clos gosse» au dessus des fermes de Robbé, où les anglais s’étaient établis pour surveiller la route d’HIRSON par où il fallait s’attendre à voir déboucher l»ennemi. La première ligne d’infanterie, la plus exposée, avait pris place tant aux abords du Familistère, derrière les arbres, que dans les greniers de la cité. C’est même de là que partirent les premiers coups de fusils sur quatre Uhlans venus en reconnaissance, tuant l’un d’eux et son cheval. Fixés sur les intentions que les français avaient de défendre la ville, les allemands surgirent en masse d’Etreux, et de Villers les Guise, et aussitôt engagèrent l’action. Il était dix heures et demie. Les rues furent criblées de balles et d’obus, tirés de part et d’autre. Les combattants tombaient sans se voir presque. Sur la place du Familistère, on a relevé dix sept allemands, deux français et un anglais. Les deux français sont enterrés derrière la cité, au bord de l’Oise.» Cependant, nos soldats tenaient bon. Les maisons étaient disputées une à une. Une maison de la rue Sadi Carnot fut le théâtre de combats acharnés entre un turc et sept allemands qui finirent par trouver la mort. Sur la place d’armes, un bataillon du 228ème de ligne se montra admirable d’ardeur et de courage. Menacé de face par une mitrailleuse allemande qui était braquée du côté du Familistère, il résista à l’attaque et ne se retira qu’après trois quarts d’heure d’une lutte inégale. Cette belle défaillance livrait la ville à l’ennemi, mais la bataille n’allait pas moins continuer sur les hauteurs, nourrie par une cannonade incessante et terrifiante. Le nombre de coups de canon tirés ce jour-là a été évalué à dix mille. Lors, le pillage des maisons commença. Chez Monsieur CLEMENT, quincailler, les allemands pendirent un vieillard, exigeant qu’il leur livra des clés qu’il n’avait pas, celles du coffre fort. A l’hospice, ils chassèrent les soeurs, les malades et les vieillards pour y mettre leurs blessés. Ailleurs, ils terrorisèrent les habitants en les plaçant devant des murs, comme pour les passer par les armes. Il leur restait à mettre le feu. A quatre heures et demie, le Familistère commençait à flamber et, le jour couché, ils s’en prirent à la rue Camille Desmoulins. «Nous allons fumer la ville, dit un officier à un habitant. Allez vous-en!»La nuit, ce fut terrifiant. On eut dit que toute la ville flambait, et des fenêtres de son logement, VON BULOW contemplait ce spectacle avec la satisfaction d’un barbare. » Il faut savoir que les allemands avaient conservé un mauvais souvenir de la Thiérache lors de la guerres précédente, celle de 1870. Il y avait là pour le conquérant une revanche notoire.

L’armée française s’arc-boute

A l’Est de GUISE, la garde allemande est stoppée à PROISY ; elle est surprise de rencontrer une telle résistance. Le 29 Août au matin, la bataille s’engage à nouveau. Le 28ème corps, commandé par le Général MALLATRIE attaque dès six heures et débouche sur la rive droite de l’Oise. A sept heures, LANREZAC fait connaître la défection des Anglais et leur remplacement par le 4ème groupe de divisions de réserve du Général VALBREGE. Il indique comme objectif général : SAINT-QUENTIN.

La 5ème division est refoulée

Le 18ème corps d’armée est arrêté par prudence. La 36ème division d’infanterie se replie. A la nuit, le 18ème corps d’armée repasse l’Oise, tout en conservant les ponts. Pendant ce temps les anglais se replient toujours.

Témoignage

Voici maintenant le témoignage d’un Lieutenant mitrailleur du 48ème Régiment d’Infanterie.(2) «Le 48ème s’est battu, le samedi 29, près de GUISE, à LE SOURD. C’est une nouvelle hécatombe : dix sept autres officiers sont tués ou blessés. Le lendemain, je reste sous un feu d’artillerie pendant plus d’une demi-heure, sans être touché. Plus de cent obus éclatent dans un rayon de soixante mêtres autour de nous. Le 29, j’ai pu tirer huit mille cartouches de mitrailleuse à en voir les bons effets… Quelle âpre joie ! J’ai été légèrement blessé d’une balle de schrapnell au coude droit. Cela ne m’a presque pas gêné. C’est presque fermé. Dimanche soir, nous restions comme combattants de l’active : deux commandants, deux capitaines, deux lieutenants (Boyer et moi). Trente quatre étaient tombés sur cinquante trois. Au milieu de ce feu infernal, on est lucide et calme, on pense froidement à ce qui vous attend, à la maisonnée qui ne vous reverra plus et on souffre affreusement, puis quand c’est fini, quand les derniers obus s’éloignent et que le feu s’éteint, on se dit que c’est reculer pour mieux sauter et que ce sera pour les jours suivants.»

Contre-attaque

Vers midi, le Général FRANCHET D’ESPEREY, avec le 1er corps d’armée, est autorisé à s’engager au combat, au mieux, en liaison avec le 3ème et le 10ème corps. Au début de la guerre de 14-18, les combats cessent encore avec la tombée de la nuit. Le 29 août, le soleil se couche à 18h30. Le crépuscule s’étend jusque vers 21h15. Franchet d’Esperey, fait se prolonger sa préparation d’Artillerie. Il arpente le champ de bataille sur un bel alezan, au grand étonnement de ses hommes de troupe. Sous une avalanche d’obus, au Nord-Ouest, la ferme de Bertaignemont flambe. Au Nord, des meules sont en feu. Au Nord-Est, Clanlieu, Audigny, commencent à être incendiés. Franchet d’Esperey rejoint alors le général PETAIN, commandant la 4ème brigade. Il lui demande s’il est satisfait dee préparation d’artillerie. Celui acquisce ; on a fait du mieux que l’on pouvait, en fonction des moyens dont on disposait. Cependant, l’artillerie ennemie n’est pas totalement détruite. A vingt et une heure, ses unités ayant refoulé l’ennemi, ont atteint CANLIEU et prennent contact avec le 10ème corps. Le 30, il reprend son mouvement en direction de GUISE. A doite de la 5ème armée, c’est la 3ème allemande de VON HAUSEN qui est arrêtée par la 4ème armée de LANGLE de CARY. Les anglais reculent toujours et vont franchir l’Aisne. Le 30 au matin, LANREZAC, qui n’ose plus rompre comme il l’avait fait à CHARLEROI, reprend son chemin en direction de GUISE. Les allemands refusent le combat et repassent l’Oise. A sept heures du matin; il reçoit un message de JOFFRE, qui aurait dû lui parvenir la veille. Ce message lui donne l’ordre de décrocher et de se replier en deçà de la Serre. Dans les communiqués officiels. Le communiqué du 29 Août au soir dira : «A notre aile gauche, une véritable bataille a été menée par quatre de nos corps d’armée. La droite de ces quatre corps, prenant l’offensive, a repoussé sur GUISE et à l’est une attaque conduite par le Xème corps allemand et la garde, qui ont subi des pertes considérables. La gauche a été moins heureuse : les forces allemandes progressent dans la direction de La Fère. Ultérieurement, un télégramme officiel anglais donnera sur cette journée les détails suivants : « Depuis la bataille de Cambrai, la 7ème armée française est entrée en opération sur notre gauche, unie à la 5ème armée sur notre droite. Elle a beaucoup contribué à délivrer nos hommes de l’effort et de la pression exercés sur eux. La 5ème armée française, en particulier, avança le 29 Août de la ligne de l’Oise pour s’opposer au mouvement en avant des Allemands, et une bataille considérable s’engagea au sud de GUISE. Dans cette rencontre, l’armée française obtint un succès marqué et solide, repoussant en désordre et avec de fortes pertes trois corps allemands, le Xème, la garde et un corps de réserve. En dépit de ce succès, cependant, et malgré les avantages qui en résultaient, la retraite générale vers le sud a continué, et l’armée allemande, poursuivant avec persistance les troupes britanniques, est restée pratiquement en contact avec notre arrière garde.»

Quelles seront les conséquences de la bataille?

Au niveau de l’ensemble de la guerre elle-même, le commandement en chef de l’armée française aurait voulu faire de la bataille de GUISE un arrêt définitif de la progression allemande. Ce but ne fut donc pas atteint. On peut décomposer cette bataille en deux parties, la première ayant pour cadre la rive Ouest de l’Oise, et qui est qualifiée par les allemands de victoire de SAINT-QUENTIN ; la seconde partie, qui eut pour cadre le Sud de GUISE, fut incontestablement une victoire française. On peut d’ailleurs peut-être regretter que la contre-attaque française du 30 au matin ait été arrêtée. Neuf mille allemands sont tombés dans cette bataille. Ils reposent dans les cimetières militaires de la région de GUISE : LE SOURD, LA DESOLATION, COLONFAY. Les combats très intenses firent beaucoup de morts. De nombreux cadavres furent déchiquetés et ne purent être identifiés. Il est cependant très net que ce fut là un coup d’arrêt à la progression allemande, qui permit en particulier aux troupes anglaises du Maréchal FRENCH de se replier et de retrouver à la fois un moral et une organisation qui leur faisaient particulièrement défaut depuis les combats livrés en Belgique. La 6ème armée française, nouvellement créée, fut également soustraite à l’étreinte de la 1ère armée allemande de VON KLUCK. Ce dernier est également contraint d’infléchir la direction de son avance vers le Sud, dégarnissant et étirant son flanc droit, ce qui constituera le prélude à la bataille de la MARNE. Le général BESSON, alors jeune capitaine et officier d’ordonnance de LANREZAC, dit au sujet de l’importance de cette bataille : «J’ai vécu en Août 1914, les heures tragiques de cette longue retraite depuis CHARLEROI pendant laquelle nous n’avons échappé à l’étreinte allemande que grâce à la vigilance du général LANREZAC. Il est exact d’affirmer qu’il fut le principal artisan trop méconnu, hélas, de notre redressement initial et sans sa bataille de Guise, la victoire de la Marne n’aurait pas été possible.» Quand au général LANREZAC, malgré cette belle victoire, il fut privé de commandement en Septembre 1914. On se souvient à ce sujet des querelles qui l’avaient opposé à JOFFRE, au sujet des choix tactiques et des hypothèses de bataille. » Aurait-il à l’époque, eu tendance par ses justes prévisions, à faire de l’ombre à ses chefs ?