La crue de l’Oise vers Vadencourt. Extraits du journal de voyage de Robert Louis Stevenson, alors qu’il traversait la Thiérache en canoë.
La Thiérache à la fin du XIXème siècle – le paysage Thiérachien
« Sur la tête une calotte de modèle indien, une chemise de flanelle foncée que d’aucuns diraient noirâtre, une légère veste de cheviotte, un pantalon de toile et des jambières de cuir » . Il en tire son premier livre : « An Inland Voyage » (1878). L’année suivante, il parcourera les Cévennes, et écrira : « Travels with a Donkey in the Cevennes » (1879) (Voyage en âne à travers les Cévennes) et dira alors : « j’étais l’animal le plus heureux de France. » Viendra ensuite un voyage en canoë, qui le conduira du port d’Anvers à Paris, et passant par la Sambre et l’Oise, donc en traversant la région de Maubeuge, puis la Thiérache de l’Aisne.
Quelques extraits.
«… Il n’était pas huit heures que les deux canoës étaient installés sur une légère charrette de campagne à Etreux. Nous ne tardâmes pas sur la route qui longe une riante vallée couverte de houblonnières et de peupliers. D’agréables villages étaient disséminés sur la pente de la colline : notamment Tupigny avec ses perches à houblon laissant pendre leurs guirlandes jusque dans la rue, et ses maisons tapissées de vignes avec leurs raisins. Il y eut un faible enthousiasme sur notre passage ; les tisserands passaient leurs têtes aux fenêtres ; les enfants criaient, émerveillés à la vue des deux barquettes, et des piétons en blouse, de connaissance avec notre charretier, plaisantaient avec lui sur la nature de son chargement. Nous essuyâmes une ou deux averses, mais légères et fuyantes. L’air était pur et doux parmi tous ces champs verts et toutes ces choses vertes qui poussaient. Rien qui indiquât l’automne, dans le temps. Et quand à Vadencourt, nous nous embarquâmes au bord d’une petite prairie, en face d’un moulin, le soleil perça les nuages et fit resplendir toutes les feuilles dans la vallée de l’Oise. nature qui frappe davantage l’œil de l’homme. C’est une pantomime si éloquente que la terreur, et la vue d’un si grand nombre de créatures se réfugiant dans tous les creux du rivage comme dans un sanctuaire inviolable est suffisante pour répandre l’infection de la crainte dans un esprit faible. Peut-être n’est ce que la crainte du froid ? Et cela n’aurait rien d’étonnant puisque les roseaux sont plongés dans l’eau jusqu’à la taille. Ou peut-être ne se sont-ils jamais faits à la hâte et à la fureur du flux de la rivière ou au miracle de son corps sans fin ? Pan jouait à la fois du chalumeau sur leurs ancêtres ; et ainsi par les mains de la rivière, il continue à louer sur ces récentes générations dans toute la vallée de l’Oise ; et il joue le même air tout à la fois doux et perçant, pour nous dire ce qu’il y a de beau et de terrifiant dans le monde. Le canoë était comme une feuille dans le courant qui le soulevait, le secouait et l’emportait en maître, tel un centaure emportant une nymphe. Pour conserver quelque pouvoir sur la direction des canoës il nous fallait beaucoup d’habileté et d’activité dans le maniement de la pagaie. La rivière avait une telle hâte d’atteindre la mer ! Toutes les gouttes d’eau couraient, prises d’une terreur panique, comme autant de gens dans une foule épouvantée…»
«…Au début de l’après midi, le soleil resplendissant et la gaité de la marche nous avaient plongés dans une sorte de douce ivresse. Nous ne pouvions plus nous contenir ; nous ne pouvions plus contenir notre contentement. Les canoës étaient trop petits pour nous ; nous éprouvions le besoin d’en sortir pour nous dégourdir les jambes sur le rivage. Et nous nous étendîmes sur le gazon dans une verte prairie, nous fumâmes un tabac déifiant et proclamâmes le monde excellent. Ce fut la dernière bonne heure de la journée, et je m’y arrête avec une extrème complaisance. D’un côté de la vallée, tout en haut du sommet crayeux de la colline, un laboureur avec son attelage paraissait et disparaissait à intervalles réguliers. Chaque fois qu’il se montrait, sa silhouette se détachait immobile pendant quelques secondes sur le fond du ciel, tout à fait semblable, au dire de ma cigarette, à un Burns de fantaisie qui viendrait retourner avec sa charrue la marguerite de la montagne. C’était le seul être vivant que nous eussions en vue, à moins que nous dussions compter la rivière. De l’autre côté de la vallée, un groupe de toits rouges et un beffroi se montraient parmi le feuillage. De là quelque sonneur de cloches inspiré emplissait l’après-midi de la musique d’un carillon..»
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