La séparation des Pays-bas et de la Belgique est une longue histoire, parsemée de batailles sanglantes et de tractations politiques…

Remontons à l’Epoque de Philippe II d’Espagne 1527 – 1598.

Fils de Charles-Quint, et Roi d’Espagne de 1556 à 1598. Il épousera successivement : Marie de Portugal, Marie Tudor, reine d’Angleterre de 1553 à 1158, Elisabeth de Valois, fille de Henri II, Anne d’Autriche. Il aura deux fils : – de Marie de Portugal, Don Carlos : 1545 – 1568. – d’Anne d’Autriche : Philippe III 1578 – 1621, qui sera Roi d’Espagne de 1598 à 1621. Philippe II sera quatre fois veuf. L’infant Philippe n’est pas d’une constitution robuste. Il pense que les plus sûrs espoirs de royaume sont dans ses filles (il en aura quatre), et en particulier dans la cadette, Isabelle. D’ailleurs, lorsque celle-ci aura quinze ans, il la félicitera d’être  » déjà une très vieille personne ! » Il voit en elle une princesse accomplie. Philippe II d'EspagneIsabelle est une excellente cavalière, tire à l’arc et à l’arquebuse… Mais elle sait broder et préparer les entremets, traduit à livre ouvert le latin en français et en espagnol, connaît les mathématiques et l’histoire… Pour elle, son père a rassemblé à l’escurial les œuvres des grands flamands et des italiens les plus illustres ! Elle est pieuse, et Philippe II a pensé très tôt qu’elle avait la tête politique. Dès 1535, il songera à l’associer à toutes ses réflexions et à toutes ses décisions. Une nuit, il s’élancera vers les appartements d’Isabelle, et la réveillera aux cris de « Anvers est pris, Anvers est à nous ! »

 

A qui la marier ?

En 1593, l’Ambassadeur de Venise dit d’elle : « Sa Majesté la veut constamment en sa compagnie. Quelquefois, il reste avec elle trois ou quatre heures »… « Elle se consacre au service de son père, qui lui communique les affaires les plus importantes de l’Etat ». Isabelle devient rapidement, la « novia de l’Europe » !, la fiancée de l’Europe. Mais elle n’épouse pas… Sébastien, le Roi du Portugal, a été tué au Maroc… Don Juan d’Autriche, le vainqueur de Lépante, est mort lui aussi… De Rodolphe, le fils de Maximilien, Philippe II ne veut point… Il attend plutôt la mort d’Henri III, sans postérité, pour la marier au duc d’Anjou, frère et héritier de Henri III ! mais celui-ci meurt aussi ! C’est alors, que pour venger la « mort » politique et juridique de Marie Stuart, il répond à l’appel des catholiques d’Irlande, d’Angleterre et d’Ecosse, et entreprend l’expédition de « l’invincible armada ». Cette expédition sera un désastre. Philippe II, à qui Isabelle avait demandé de se résigner chrétiennement à cette défaite, dira « J’avais envoyé mes vaisseaux contre les hommes, pas contre les éléments ». Tout espoir de royauté en cette île est perdu… En France, l’assassinat de Henri III, donne sa chance au huguenot Henri de Navarre. La « Sainte Ligue » appelle à l’aide le Roi d’Espagne :  » Nous attendons fermement de la bénédiction de Dieu que ce que nous avons reçu de la grande et très chrétienne Blanche de Castille, mère de notre pieux roi Saint-Louis, nous le recevions au double de cette grande et vertueuse princesse, fille de Votre Majesté, qui par ses rares vertus concentre tous nos regards… » Philippe saisit l’occasion, détourne ses armées de leur lutte contre les calvinistes des Pays-Bas, et envoie de subtils émissaires en France.

isabelle-d-espagne

Mais qui sera le Roi ?

C’est alors que les ruses du Parlement, l’abjuration du Béarnais, font perdre toute cohérence aux ligueurs, et ruinent les espoirs de Philippe II. Et Isabelle est toujours célibataire ! « Le nombre de mes années s’est tellement accru, dit-elle, qu’il vaudrait mieux les cacher que les fêter ».

Carte des Pays Bas

Aux Pays-Bas, la lutte continue

Aux Pays-Bas, la lutte continue contre les calvinistes de « l’Union Utrecht » (en 1557, la principauté s’était révoltée contre la domination espagnole et était passée à la maison d’Orange). deux ans plus tard, les Sept Provinces protestantes du Nord créaient l’Union d’Utrecht ». Il vient alors à Philippe II l’idée de déclarer Isabelle « dame et souveraine » des Pays-Bas, en restaurant l’ancien état bourguignon. Elle épouserait Albert, le vice-roi du Portugal… Albert était cardinal et cousin d’Isabelle… mais le Pape ne refuserait rien à Philippe II ! Et pour assurer l’avenir de sa propre monarchie, Philippe donnerait à l’Infant, la jeune Marguerite d’Autriche, nièce de Maximilien… Les deux mariages auraient lieu en même temps !…

Quand tout sera acquis, Philippe II signera la cession de la couronne des Pays-Bas à Albert et Isabelle, mais il sera conclu également, que si le couple décède sans héritier, la couronne des Pays-Bas reviendra à l’Espagne à la mort du premier des époux. Cependant, le 22 août 1598, aux Etats généraux de Bruxelles, les bancs des députés des provinces du Nord restèrent vides. C’était une façon de faire savoir que ces Etats restaient en guerre contre l’Espagne.

Philippe II entre alors, à cette époque dans une agonie lente et difficile ; il était devenu  » une plaie répugnante assise sur un fumier des pestilence ! » Isabelle restera à son chevet, lui lisant des textes pieux. Puis la paix sera signée à Vervins…. Les Provinces du Sud accepteront le projet de Philippe II… Et celui-ci décédera, confiant dans l’exécution de ses desseins.

Un voyage triomphant !

Isabelle et Albert

Isabelle et Albert

Le deuil retardera les deux mariages. C’est le Pape, qui célèbrera les deux unions, en Italie, le 15 novembre. La cérémonie sera tellement fastueuse, qu’elle en éclipsera celle du couronnement de Charles-Quint, en 1530. Et c’est le 7 juin suivant que Albert et Isabelle partiront de Gênes, traverseront l’Italie du Nord, la Suisse, l’Alsace, la Lorraine, pour arriver le 20 août 1599 à Thionville. De Thionville à Bruxelles, leur voyage sera à la fois triomphal et touchant. « Dès que nous eûmes passé la frontière, écrit Isabelle à Philippe III, nous trouvâmes tous les chemins pleins de gens qui accouraient pour nous voir et jeter des fleurs dans le carrosse ou des feuillages sur la route ; et tous criaient : « Vive les ducs de Brabant qui arrivent chez nous ! » Même les vieux et les vieilles pleuraient de joie… Une femme arriva jusqu’à moi et me donna un bouquet de fleurs : « Madame la duchesse, acceptez de ces fleurs que produisent vos Pays-Bas ». Ceux qui parvenaient à toucher le carrosse ou les chevaux étaient on ne peut plus heureux ».

Cependant, quelques précautions furent prises en traversant les Ardennes. A l’abbaye de la Cambre, aux portes de Bruxelles, les principaux remirent aux époux les clés de la ville et la verge de justice. La pluie fit son apparition, mais tout le monde résista, et on entra alors dans Bruxelles. Même le soleil, fit sa réapparition après la cérémonie à Saint-Gudule. Après Bruxelles, Anvers fit un accueil grandiose, puis ce furent Gand, Lille, Tournai, où Isabelle vit la neige pour la première fois… A Valenciennes, on versait à tous le meilleurs vin… Arras fut ensuite elle aussi très chaleureuse…

Restait à mettre en place et à exercer le gouvernement

Maurice de Nassau (Maurice de Nassau-Orange, 1567-1625, stathouder de Hollande en 1584, était le fils de Guillaume le Taciturne. Il sera reconnu stathouder des Dix-Sept provinces calvinistes du Nord, en 1576) entreprenait la conquête de toutes les côtes du pays. Les troupes belgo-espagnoles, mal payées, se mutinaient. De tous côtés, on réclamait une part des subsides qu’Isabelle tirait de Madrid… C’est Albert lui même qui se rendra au secours de Nieuport, où malgré sa bravoure, une blessure et la perte de 3000 hommes, il sera défait. Cependant, il décidera immédiatement le siège d’Ostende, où il tiendra Maurice de Nassau assiégé, qui ne put se targuer de sa victoire. Albert recevra l’approbation de Madrid, et le renfort de deux stratèges : (deux frères) Ambroise Spinola pour les troupes à terre et son frère Frédéric, pour la flotte. C’est encore Isabelle qui incarnera l’ardente volonté des assiégeants… Elle fit le vœu de garder la même chemise pendant toute la durée du siège, qui durera trois ans ! Si bien que depuis ce temps, tout cheval à la robe « café au lait » est dit « cheval Isabelle » !

Un remarquable sens politique !

La prise d’Ostende aura un immense retentissement, même si elle ne désarmera pas les ennemis d’Albert. Isabelle choque alors Madrid, en disant que les calvinistes du Nord ne désarmeraient jamais, et qu’il fallait négocier. En 1607, elle eut même l’audace de faire signer un armistice de six mois ! Elle finit par convaincre le roi d’Espagne qu’il fallait obtenir la paix « sans perdre réputation et honneur ». Une trêve de douze mois fut signée en 1609. Philippe II devait se retourner dans sa tombe, mais on tenait là une esquisse de ce qui sera deux cents vingt ans plus tard le royaume de Belgique. Henri IV, à travers une sombre histoire amoureuse, malgré son âge avancé (et la sénilité ?) manquera pour une enième histoire… de rallumer une guerre, mais le poignard de Ravaillac empêchera le développement de ce nouvel épisode.

L’unification du pays

Foire aux Pays Bas

Foire aux Pays Bas

Nous sommes en 1610. Les provinces gouvernées par Albert et Isabelle viennent de passer quarante trois années de guerre. Elles sont ensanglantées et ruinées. Ils confient à un ensemble de juristes le soin de refondre l’ensemble du droit civil et du droit criminel. De ces travaux, naît, en 1611, un « édit perpétuel », où pour la première fois on parle de « royaume de Basse-Belgie » Madrid « fronce les sourcils ». Mais les époux sont très conciliés, et résistent. Ils organisent l’unification des provinces, mais tout en conservant les particularités de chacune. L’historien PIRENNE parlera « d’une monarchie absolue tempérée par des autonomies locales ». Les impôts sont judicieusement répartis ; l’usure réprimée ; la sécurité des biens et des personnes est assurée ; la paix religieuse est restaurée. Dans les campagnes, on s’est remis à la culture du lin, du houblon et des céréales. On assèche les marais et les mers, pour augmenter la surface cultivable. Des fermes nouvelles apparaissent régulièrement. On ne parle plus guère des « draps des Flandres », mais on tire le charbon du sol et on bat le fer. A Anvers, on travaille la soie. Isabelle tient un rôle important dans le travail des « cuirs dorés », de la dentelle, et dans le développement des tapisseries d’Audenarde et de Bruxelles ». Les Universités de Louvain et de Douai rayonnent sur l’Europe de la Contre-Réforme. En architecture, un style nouveau, le baroque flamand, apparaît.

Une ombre sur les fêtes…

Isabelle a le souvenir des œuvres rassemblées à l’Escurial par son père. Elle commande des œuvres à Brueghel, à Sallaert… Elle ne cesse de donner des fêtes au cours desquelles le « bon peuple » s’en donne à cœur joie. Elle laisse alors voir, à Tervueren, à Mariemont, sa joie de vivre, elle, la fille de l’austère Philippe II. On dit alors d’elle qu’elle n’est pas la fille de Philippe II, mais la petite fille de Charles-Quint-de-Gand ! On disait d’elle qu’elle cultivait les fleurs, pour l’amour d’elles… Qu’elle allait aux pauvres… Qu’au temps des guerres, elle broyait elle-même la charpie… Mais elle n’enfantait pas.. Et le temps vint où Albert entra en agonie. Elle l’accompagna dans la mort comme elle avait auparavant accompagné son père… Gouvernante générale, par devoir. Ainsi donc, comme l’avait organisé Philippe II, à la mort du premier des deux conjoints restés sans descendance, le trône revint à l’Espagne. Philippe IV d’Espagne a alors seize ans. A Isabelle, qui aurait souhaité se retirer dans un couvent, il demande d’en assure le gouvernement, en la ramenant au rang de « gouvernante générale », elle qui avait quasiment assuré la création du royaume de Belgique. Et elle s’astreint à cette nouvelle tâche, jusqu’à sa mort, en 1633.