L’utilisation des terres en Thiérache au XIXème siècle
ou la naissance du paysage de bocage

D’après un livre de statistiques du département de l’Aisne datant de 1826, dont l’auteur est Monsieur Brayes, qu’il nous a été donné de consulter aux archives départementales à Laon, les terres labourées représentaient encore à cette époque de 80 à 95 % des superficies exploitées en Thiérache.
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Le paysage est donc un paysage de culture, ouvert, sans haies ni clôtures. La première matrice cadastrale datant des années 1830 nous montre que la proportion des terres labourées est à cette époque aux environs de 60, 70 % des superficies exploitées. La deuxième matrice cadastrale de 1914 par contre donne 90% en moyenne de prairie. Le passage des labours à l’herbage a donc eu lieu entre ces deux dates : 1830 et 1914. Le paysage passe alors à celui du bocage que nous connaissons maintenant.

Comment expliquer cette profonde mutation ? Dans une France d’ancien régime (avant 1789) repliée sur elle même, où chaque région vivant en autarcie (douanes intérieures) doit produire ce dont elle a besoin, l’agriculture en Thiérache, comme partout ailleurs, était d’abord vivrière (sans permettre d’ailleurs à tout le monde de vivre : voir les nombreuses famines). Pourtant, sous le second Empire et la troisième république, la Thiérache allait devenir une région herbagère. La création de voies de communication et notamment du chemin de fer, allait favoriser la spécialisation agricole des régions françaises en fonction de leurs aptitudes physiques et humaines ; en outre, les hauts prix des produits de l’herbage, ainsi que vers 1885 l’avilissement du prix du blé, allaient provoquer une nouvelle et décisive extension des herbages. Ainsi de très nombreuses laiteries devaient-elles naître, possédant d’ailleurs des caves pouvant contenir de vingt mille à quatre vingt mille Maroilles. En 1926, d’après Monsieur Azambre (1), mille neuf cent quinze tonnes de maroilles et sept cent quatre vingt douze tonnes de beurre ont été expédiées par la ligne de chemin de fer Hirson-Aulnoye.

Parallèlement à cette évolution du labour à l’herbage, la Thiérache changeait de visage. Un plan du hameau du petit bois Saint-Denis (La Flamengrie) datant de 1715 nous montre des maisons entourées d’un petit enclos et de champs en lanières qui ne le sont pas ; une vue aérienne du même endroit nous montre maintenant que toutes les parcelles sont entourées de haies. Une grande partie des haies de Thiérache date probablement de la même époque que le passage des terres labourées à l’herbage (1850 – 1890). Avec la transformation agricole de la Thiérache, la révolution industrielle du XIXème siècle, l’apparition du machinisme, devait comme partout en France entraîner un grave exode rural pour la région si, en contre partie, les villages ne se développaient pas en s’ industrialisant. Entre 1826 et 1926, la plupart des communes rurales de Thiérache perdaient de 20 à 50% de leur population. Certes, entre les mêmes dates, Hirson voyait sa population augmenter de 600%.

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Quelques chiffres

Voici, afin de permettre une comparaison avec la nature des surfaces agricoles actuelles, quelle était la répartition des terres, fin du XIXème.

A Voulpaix en 1892: Cultures : Froment : 250 ha. Seigle : 20 ha Orge : 5 ha Avoine : 160 ha Féveroles : 20 ha Prairies artificielles : Trèfles : 30 ha Luzerne : 20 ha Sainfoin 10 ha Mélanges de légumineuses 40 ha. Le pommier à cidre est présent sur environ 140 ha.

A Fontaine les Vervins en 1892: Terres en culture : 1900 ha. Prairies artificielles : 330 ha. Prairies naturelles : 190 ha.

A Iviers en 1897 : Terres en culture : 260 ha. Prairies naturelles : 300 ha, en forte augmentation. Les pommiers à cidre et poiriers sont estimés à environ 3000, et permettent une production estimée à 800 hectolitres. La forêt était présente sur 116 ha en 1828, et en 1897, 75 ha environ avaient été défrichés. On note également une forte surface cultivée en oseraie.

A Vervins en 1894: Terres labourables : 773 ha. Prairies naturelles : 147 ha. Jardins : 20 ha. Bois : 3 ha.